Les responsabilités de l’hébergeur

Les responsabilités de l’hébergeur
La loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie
numérique (LCEN) traite de différents thèmes, dont certains
relatifs à la protection des données personnelles. Elle définit
également les obligations et les responsabilités des éditeurs de
contenu et des hébergeurs sur Internet. Ces termes d’éditeurs
et d’hébergeurs ne figurent toutefois pas dans la LCEN, mais
ils sont couramment utilisés pour plus de commodité.
40 •Loi et Internet
L’internaute qui a un site web personnel, une page Facebook,
ou un site de partage, est éditeur du contenu qu’il publie ; il
est à ce titre responsable de son caractère légal. Il est de même
responsable de ses tweets et des commentaires qu’il laisse sur
les blogs ou sur les réseaux sociaux. Dans ces cas de figure, le
réseau social, le site de partage ou celui de micro-blogging ne
sont que des hébergeurs. L’internaute aussi est hébergeur au
titre des commentaires qu’il accueille sur son blog ou sa page
Facebook.
Contrôle de la légalité des contenus
Il résulte des articles 6.I.2 et 6.I.3 de la LCEN que les hébergeurs
ne peuvent pas voir leur responsabilité civile ou pénale
DÉFINITIONS La distinction éditeur/hébergeur
La distinction entre éditeurs et hébergeurs a, depuis 2004, donné lieu à de nombreux
débats et à des jurisprudences contradictoires (qui dépassent notre sujet). Pour simplifier,
nous pouvons retenir que :
• Les éditeurs sur Internet sont les personnes qui mettent en ligne du contenu (texte,
images, musique, vidéos…) ou qui ont la mainmise éditoriale sur le contenu créé par
d’autres (par exemple, les modérateurs des forums).
• Les hébergeurs sont les personnes physiques (internautes gestionnaires de blogs) ou
morales (associations, presse en ligne, réseaux sociaux…) qui publient du contenu
créé par d’autres sans le contrôler au préalable.
DÉFINITION L’hébergeur
D’un point de vue juridique, on appelle hébergeurs les personnes que la LCEN
(article 6.I.2) définit ainsi : « les personnes physiques ou morales qui assurent, même à
titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au
public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de
toute nature fournis par des destinataires de ces services. »
La liberté d’expression sur Internet • 41
engagée « du fait des activités ou des informations stockées à
la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient
pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de
faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le
moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi
promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès
impossible ».
L’article 6.I.7 ajoute que les hébergeurs ne sont pas soumis « à
une obligation générale de surveiller les informations qu’elles
transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de
rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités
illicites ».
Ces articles signifient que l’hébergeur qui, par définition et a
priori, ne connaît pas le contenu qu’il héberge, n’a pas à procéder
spontanément à des contrôles et n’est pas responsable du
caractère éventuellement illégal des contenus ; pas plus que,
par exemple, La Poste n’est responsable si une lettre contient
des injures ou de la diffamation. En revanche, lorsque le
caractère illégal du contenu lui est signalé, il a la responsabilité
d’agir rapidement pour rendre celui-ci inaccessible.
En pratique donc, lorsque l’illégalité signalée est manifeste
(par exemple : pédopornographie), l’hébergeur retirera un
contenu sans exiger de formalité ; dans les autres cas, si l’illégalité
est discutable, il attendra la décision d’un juge.
PRÉCISION Avis du Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel a précisé, dans sa décision 2004-496 DC du 10 juin 2004, que
« ces dispositions ne sauraient avoir pour effet d’engager la responsabilité d’un hébergeur
qui n’a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente
pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge ».
42 •Loi et Internet
Jurisprudences concernant les responsables de forum
Le 21 juillet 2005, le tribunal de grande instance de Lyon a
examiné la plainte d’une société visant le responsable d’un
forum de discussion. La société avait relevé sur ce forum des
commentaires la concernant qu’elle jugeait diffamatoires. Elle
en avait demandé la suppression au responsable du forum qui
s’était exécuté. Elle attaquait toutefois ce dernier en diffamation
en sa qualité de directeur de la publication.
Le tribunal a indiqué que le forum en question, modéré
a posteriori par son responsable qui le contrôlait « trois ou
quatre fois par semaine », relevait bien du régime de l’hébergeur
au sens de la LCEN. Si le responsable du forum n’avait
pas eu « son attention spontanément attiré par les messages
incriminés » lors de ses contrôles de routine, il n’en avait pas
FORMALISME La notification
La notification à l’hébergeur des faits illicites doit respecter les formes prescrites à
l’article 6.I.5 de la LCEN :
« La connaissance des faits litigieux est présumée acquise par [les hébergeurs] lorsqu’il
leur est notifié les éléments suivants :
• la date de la notification ;
• si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile,
nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale : sa
forme, sa dénomination, son siège social et son représentant légal ;
• les nom et domicile du destinataire ou, s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination
et son siège social ;
• la description des faits litigieux et leur localisation précise ;
• les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions
légales et des justifications de faits ;
• la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des informations ou
activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou
la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté. »
Comme on le voit, la demande de retrait ne peut être adressée à l’hébergeur qu’après
qu’on ait contacté (ou essayé de contacter) en vain l’auteur du contenu.
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moins retiré les messages litigieux dans les 24 heures après en
avoir reçu la demande : il avait ainsi « agi promptement dès
qu’il a eu connaissance du caractère illicite du message »,
conformément aux dispositions de la loi. Le responsable du
forum ne pouvait donc voir sa responsabilité engagée et le
plaignant était débouté de l’ensemble de ses demandes.
La Cour d’appel de Versailles a jugé le 12 décembre 2007 une
affaire similaire, dans laquelle une société, s’estimant victime
d’un dénigrement commercial, attaquait une association de
défense des consommateurs responsable d’un forum. La Cour
a confirmé que le statut d’hébergeur s’applique aux forums
non modérés ou modérés a posteriori. Par ailleurs, le plaignant
n’ayant pas adressé à l’hébergeur une notification
conforme aux exigences de l’article 6.I.5 de la LCEN, s’en
tenant à des réclamations « larges, vagues et générales », visant
des « propos diffamatoires » sans apporter de précision quant
aux faits reprochés et à leur emplacement, la Cour l’a débouté
de ses demandes et l’a condamné à verser 2 000 € au responsable
du forum, au titre des frais de justice.
La réapparition de contenus illicites supprimés
Nous avons vu que l’hébergeur dégage sa responsabilité s’il
retire promptement le contenu qui lui a été signalé comme
illicite, mais que se passe-t-il si des internautes remettent en
ligne, chez le même hébergeur, le contenu supprimé ?
Le 19 octobre 2007, Google a été condamné par le tribunal de
grande instance de Paris à 30 000 € de dommages-intérêts pour
EXTRAIT DU JUGEMENT Forum non modéré ou modéré a posteriori
« Le responsable d’un forum non modéré ou modéré a posteriori doit être considéré
comme un hébergeur au sein de la loi puisqu’il assure le stockage direct des messages
diffusés sans porter de regard préalable sur ces derniers. »
44 •Loi et Internet
n’avoir pas « accompli les diligences nécessaires » pour rendre
impossible la remise en ligne d’une vidéo qui lui avait déjà été
signalée comme illicite. Le tribunal a reconnu que Google, au
titre de son service Google Video, est un hébergeur et avait
effectivement retiré promptement la vidéo en cause la première
fois qu’elle lui avait été signalée, dégageant ainsi sa responsabilité.
Néanmoins, le tribunal ajoutait qu’il appartenait à la société
Google « de mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires en vue
d’éviter une nouvelle diffusion, ce qu’elle ne démontre pas avoir
fait, le développement allégué de solutions techniques afin de
prévenir et à tout le moins de limiter l’atteinte aux droits des tiers
ayant manifestement été en l’espèce inopérant ». Il repoussait
également l’argument selon lequel chaque remise en ligne
constituerait un fait nouveau et nécessiterait une nouvelle
notification : « si les diffusions successives sont imputables à des
utilisateurs différents, leur contenu et les droits de propriété
intellectuelle y afférents, sont identiques ». Le tribunal concluait
que « faute pour elle de justifier avoir accompli les diligences
nécessaires en vue de rendre impossible la remise en ligne du
documentaire […] déjà signalé comme illicite, la société
Google Inc ne peut se prévaloir de la limitation de responsabilité
prévue à l’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 ».
Une décision dans le même sens a été rendue le
14 décembre 2010 par le tribunal de grande instance de Cré-
DÉFINITION Le droit prétorien
Une telle obligation d’empêcher la remise en ligne d’un contenu retiré ne figure pas dans la
loi. Il peut donc sembler surprenant de voir un juge s’y référer et condamner une société sur
cette base. Cette pratique existe pourtant et porte le nom de droit prétorien : il s’agit des
positions jurisprudentielles retenues par les tribunaux, qui finissent par « prendre force de
loi », en l’absence justement d’une loi sur le sujet. Parmi les créations prétoriennes les plus
connues, citons le devoir d’information et de conseil de la banque, ou de l’agent immobilier.
Dans le cas présent, cette obligation d’empêcher activement la remise en ligne d’un contenu
déjà retiré n’aura toutefois « force de loi » que tant que les tribunaux l’appliqueront.
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teil, qui a ordonné à YouTube « d’installer sur son site un système
de filtrage efficace et immédiat des vidéos » qui lui ont
déjà été signalées, pour éviter leur remise en ligne.
De même, la Cour d’appel de Paris a estimé le 16 octobre 2010
que la mise en place par Dailymotion des technologies qui
« permettent la détection, entraînant le rejet automatique avant
la mise en ligne, de tout contenu » déjà signalé, va dans le sens
du respect de ses obligations d’hébergeur.
Ainsi, la Cour d’appel de Paris a confirmé le 21 juin 2013 que
YouTube n’avait pas engagé sa responsabilité d’hébergeur en
ne retirant pas automatiquement des contenus déjà signalés
qui avaient été remis en ligne. En effet, YouTube avait mis en
place une technologie de reconnaissance vidéo gratuite afin
d’éviter que les vidéogrammes contrefaits ne soient diffusés
sur sa plate-forme. YouTube remplissait ainsi ses obligations.
La Société des producteurs de phonogrammes en France
(SPPF), qui avait refusé d’adhérer à ce système, ne pouvait
dans ce cas exiger un retrait automatique des contenus. Si la
SPPF voulait faire retirer une deuxième fois des contenus
réapparus, elle devait donc les signaler à nouveau à YouTube.
À SUIVRE Portée de l’obligation
On constate que l’obligation de mettre en place des outils de filtrage pour empêcher la
remise en ligne d’un contenu déjà signalé n’a apparemment été appliquée par les juges
qu’aux hébergeurs commerciaux : Google, YouTube, Dailymotion. On peut supposer,
mais cela reste à confirmer, qu’ils n’imposeront pas les mêmes obligations à des internautes
hébergeurs au titre de leur blog personnel ou de leur page Facebook.
Il semble également qu’il s’agisse d’une obligation de moyen, et non de résultat. Cela
signifie que la mise en place d’outils qui correspondent à l’état de l’art suffira à dégager
la responsabilité de l’hébergeur et que l’on ne lui reprochera pas un éventuel insuccès :
par exemple, dans le cas de vidéos, si une vidéo déjà retirée est remise en ligne par un
internaute qui l’aura légèrement modifiée pour échapper aux filtres.
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